Alain Lecomte


Il s’en était allé de Paimpol à Bordeaux
on aurait dit qu’il n’avait rien sur lui
il avait appris à lire sur les murs des cités
et connaissait les mots difficiles pour les avoir sus
des oiseaux rapaces qui peuplaient son île.
il buvait le vin comme on se nourrit de chansons
et regardait la mer tissus de cauchemars.
je lui disais qu’il aurait mieux fait pourtant de voguer,
car marcher à son âge allait l’ensorceler.
j’étais certain qu’il décrocherait à la moindre fermière,
qu’il boirait son lait et la laisserait pétrie de songes.
qu’il se battrait avec les hommes, à peine sortis de guerre,
et qu’il se ferait renversé par leurs chevaux de fortune.
je lui disais que l’hiver serait rude,
qu’il cracherait son sang dans la neige
comme un crapaud qu’il était.
Il riait de ses dents couvertes d’or
et me montrait ses muscles d’acier.

Je le vis disparaître dans le vent car le vent ce jour-là soufflait
comme un vent de mort,
fumant, fulminant contre ce qui porte blason.
il avait une flûte mais n’en jouait jamais,
ce jour-là pourtant je crois que j’ouïs au loin,
les deux notes, une courte une brève
qui sonnent l’alerte
au fond des baies brumeuses.








Alain Lecomte, ancien universitaire, poète et voyageur, partage sa vie entre Grenoble et un petit village de la Drôme provençale. Présent dans les n° 33, 34 et 35 de Lichen.

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