Alain Lecomte

 

Je me suis laissé dire que le vent arrachait les grimaces des masques

qu’il polissait la surface des raisins comme des agates sorties des mers

et qu’il envoyait des messages à ceux que nous avons perdus de vue.

 

Je me suis laissé dire que la pluie rétablissait les masques engloutis,

perforait les couches d’humus au pied des sapins bleus

et murmurait aux oreilles des fantômes égarés dans la nuit

 

je me suis laissé dire que le neige enfermait à tout jamais nos tombeaux

et faisait de nos corps lourds des formes qui virevoltent 

au lointain des sentiers qui s’enfoncent dans le gris des forêts

 

et je me suis laissé dire que tu t’absentais la nuit pour t’abreuver

des mélancolies qui suintent au bas des escaliers

et que le matin te revoyait toujours plus rayonnante

 

rappelant au soleil le contrat qui à jamais te lie à lui.

 

°

 

Jamais la terre n’avance aussi longtemps vers un noir marécage

les ajoncs, les roseaux subissent des bourrasques les outrages

où allons-nous, peuples en sang,

bataillons captifs des armées de cendre ?

Vers quel horizon plaintif où se dissipent les brumes ?

Les oiseaux des mers et des lagunes s’enfuient le soir venu

vers des maisons sans lune, des forêts sans tocsin,

et les hommes courent en pleurant vers leurs femmes nues

qui fauchent en tremblant les foins de leur révolte.

Tourne, tourne, ô manège, et regarde où vire-voltent

les noirs tamis, les ailes cendrées et les marchands de sable.

D’où viennent nos délices, nos larmes et nos cris

si ce n’est du désespoir absent des faiseurs de musique ?

 

 

 

Alain Lecomte, ancien universitaire, poète et voyageur, partage sa vie entre Grenoble et un petit village de la Drôme provençale. Présent dans les n° 33, 34, 35 et HSC de Lichen.

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