Je me suis laissé dire que le vent arrachait les grimaces des masques
qu’il polissait la surface des raisins comme des agates sorties des mers
et qu’il envoyait des messages à ceux que nous avons perdus de vue.
Je me suis laissé dire que la pluie rétablissait les masques engloutis,
perforait les couches d’humus au pied des sapins bleus
et murmurait aux oreilles des fantômes égarés dans la nuit
je me suis laissé dire que le neige enfermait à tout jamais nos tombeaux
et faisait de nos corps lourds des formes qui virevoltent
au lointain des sentiers qui s’enfoncent dans le gris des forêts
et je me suis laissé dire que tu t’absentais la nuit pour t’abreuver
des mélancolies qui suintent au bas des escaliers
et que le matin te revoyait toujours plus rayonnante
rappelant au soleil le contrat qui à jamais te lie à lui.
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Jamais la terre n’avance aussi longtemps vers un noir marécage
les ajoncs, les roseaux subissent des bourrasques les outrages
où allons-nous, peuples en sang,
bataillons captifs des armées de cendre ?
Vers quel horizon plaintif où se dissipent les brumes ?
Les oiseaux des mers et des lagunes s’enfuient le soir venu
vers des maisons sans lune, des forêts sans tocsin,
et les hommes courent en pleurant vers leurs femmes nues
qui fauchent en tremblant les foins de leur révolte.
Tourne, tourne, ô manège, et regarde où vire-voltent
les noirs tamis, les ailes cendrées et les marchands de sable.
D’où viennent nos délices, nos larmes et nos cris
si ce n’est du désespoir absent des faiseurs de musique ?
Alain Lecomte, ancien universitaire, poète et voyageur, partage sa vie entre Grenoble et un petit village de la Drôme provençale. Présent dans les n° 33, 34, 35 et HSC de Lichen.
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