Pages

Entretien avec un poète

 par Nadège Cheref

 

 

Patricio Sanchez


J’ai découvert la poésie de Patricio Sanchez grâce à un ami poète, qui m’a parlé de lui et qui avait assisté à une de ses lectures lors des 3èmes rencontres franco-espagnoles au Musée Paul Valery à Sète. J’ai tout de suite aimé sa poésie métaphorique, sensible, nostalgique et profondément humaine. Je suis ravie de vous faire entrer dans le monde enivrant de ce beau poète.


Photo Nicolas Dutent



Présentation (rédigée par le poète)


Patricio Sanchez-Rojas est né au Chili en 1959, où il a passé son enfance et une partie de son adolescence. En 1977, sa famille s’installe à Paris, puis il séjourne quelques années à Madrid et à Portland. Il est poète, enseignant, traducteur et animateur d'ateliers d'écriture. Il enseigne l’espagnol au collège, au lycée et à l’université. Il est naturalisé français en 1993. Il fut remarqué par Jean Joubert, qui écrira la préface de son livre Le Parapluie rouge (Domens, 2011). Ses poèmes figurent dans diverses revues de littérature et anthologies françaises, italiennes et hispanophones.
En 2014, il participe au Festival Voix Vives de Toledo ; la même année, il rejoint l’équipe des animateurs du Festival Voix Vives de Sète. En 2018, il est auteur invité au Ramallah Poetry Festival, et en 2023 il participe au  Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges. Il réside dans un village proche de Montpellier.
 

Entretien


Lichen : Bonjour Patricio, tout d’abord j’aimerais vous demander si votre envie d’écrire de la poésie était née de la nostalgie de votre pays d’origine le Chili ?

Patricio Sanchez : Bonjour Nadège,
Je tiens à vous remercier chaleureusement pour votre invitation à contribuer à votre revue Lichen, que je découvre grâce à votre contact. Son contenu m’apparaît des plus intéressants. Ainsi, je me propose de répondre à vos questions, qui inévitablement me ramènent dans le passé :

Mes souvenirs me transportent alors à l’école primaire, où j’ai fait mes premiers pas dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture au Collège San Pelayo de Talca, au Chili, qui était également un séminaire.   

Là-bas, la découverte de l’écriture et de la lecture fut une source d’émerveillement pour moi. Malgré l’immensité de l’endroit, qui pouvait parfois m’effrayer, je ressentais une sorte de grande curiosité. Les bâtiments étaient bordés par une grande rivière agitée, et l’espace comprenait de nombreux terrains de football et de basketball, entremêlés dans un labyrinthe de cours intérieures et de jardins emplis de palmiers et de saules.

A l’âge de dix ans, j’ai quitté cet établissement ainsi que ma ville natale pour m’installer dans le Sud du pays, à Valdivia. C’est là que j’ai découvert la nature exubérante de mon pays natal et la poésie de Pablo Neruda à travers son recueil Cent Sonnets d’Amour, un trésor trouvé dans la bibliothèque de ma nouvelle maison.  

A cette époque, ma vocation n’était pas d’être poète, mais basketteur. Ce sport était ma passion, une passion qui reste d’ailleurs jusqu’à présent une activité extraordinaire pour moi.

En raison du Coup d’État de 1973, qui a renversé le gouvernement de Salvador Allende, ma famille a été persécutée par les militaires.

En 1974, nous avons déménagé à Talca, où je me suis inscrit au Lycée N° 1 de cette ville. C’est grâce à l’enseignante d’espagnol, Madame Magda Munoz, que j’ai développé ma passion par la littérature et la poésie. Elle a organisé un concours de poésie au lycée où, malgré un échec inattendu, j’ai découvert une grande envie d’écrire. D’abord, ce furent des petites histoires assez amusantes que je partageais avec mes amis et à ma famille, puis des poèmes d’amour.

A cette période, je connaissais par cœur, comme beaucoup de mes camarades de lycée, quelques vers du poète espagnol Gustavo Adolfo Bécquer et, surtout, de nombreux poèmes de Neruda. Sans me considérer comme un poète, j’écrivais de mauvais poèmes d’amour à certaines jolies filles d’un autre lycée que j’appréciais.

En octobre de 1977, ma famille a été expulsée du Chili. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé à Paris où je découvris un groupe de poètes latino-américains en exil et des artistes de La Nueva Canción.

C’était l’époque où nous vivions avec ma famille dans un foyer de Fontenay-sous-Bois en tant que refugiés politiques.

A Paris, je me suis passionné pour le folklore et la littérature hispanophones, mais aussi pour la littérature française. J’ai écouté de nombreux poètes et écrivains de renom, et j’ai écrit beaucoup par plaisir. J’ai également eu l’opportunité de lire mes poèmes lors de soirées de solidarité avec le Chili et l’Amérique latine.   

A l’âge de vingt ans, on m’a invité à publier quelques poèmes dans une revue de politique et de poésie chilienne, conçue par un poète exilé qui vivait en RDA et à Paris, Juan Samuel, proche de Michèle Bachelet. Cette revue était distribuée dans toute l’Europe au sein de la communauté chilienne.

Fontenay-sous-Bois étant une commune très proche du centre de Paris ; sa mairie, très active, s’occupait, entre autres choses importantes, de développer la culture. En 1984, j’ai participé à des soirées littéraires où l’on pouvait lire nos poèmes. L’un des membres du groupe était un des musiciens de Charles Trenet ; il accompagnait nos lectures, et cela était diffusé directement à la radio.

La même année, le service culturel  m’a proposé de participer à une soirée poésie au Centre Georges Pompidou dans le cadre de l’événement « Les enfants de l’immigration ». Cette expérience fut un véritable déclic pour moi, marquant le début de mon petit cheminement en tant que poète.

Mes poèmes n’étaient ni extraordinaires ni nostalgiques, mais la poésie me servait réellement à me sentir utile, à occuper mon temps à Paris, où je travaillais avec des adolescents en difficulté, à aborder la vie avec un peu d’optimisme et d’espoir, et à comprendre l’exil de ma famille et de mes amis latino-américains.

Comment décririez-vous votre poésie et quels sont vos thèmes de prédilection ?

P.S : Neruda affirmait que la poésie devait être comme le pain que l’on partage chaque jour. Peut-être mes poèmes pourraient-ils incarner cette idée. Ou bien, ma poésie pourrait être semblable à l’air que je respire à chaque instant.

Je dis cela car, à un moment de ma vie, à Paris, l’air m’a manqué terriblement. J’ai dû réapprendre à respirer avec l’aide d’un spécialiste. La poésie m’a sûrement aidé à retrouver le rythme, la cadence, et à donner un sens à cet acte essentiel.

En ce qui concerne les thèmes que j’aborde dans mes écrits, je pourrais dire qu’on peut écrire sur tout. Notre terre est une grande maison où les saisons peuvent nous émouvoir.

La Nature offre une richesse infinie. La forêt demeure un mystère, telle la clé d’une porte dissimulant un secret.

L’eau symbolise la vie. Le feu, tout notre univers, peut être célébré, tout comme les volcans, les océans, les nuages, les arbres....
Je pense également que, en plus des thèmes qu’un poète choisit pour écrire, il doit garder les yeux grand ouverts. Il doit observer les injustices de ce monde en péril. Il doit aussi faire preuve de solidarité et se montrer réceptif envers les autres.

:  Quels sont les poètes qui vous ont le plus parlé ? Et pourquoi ?

P.S : J’ai déjà mentionné Bécquer et Neruda, mais je ne saurais oublier le nom de Gabriela Mistral, une poétesse qui émerveillait profondément ma mère en tant que femme engagée.

Mais également, tous les poètes du Siècle d’Or espagnol ; José Marti, ceux de la génération Lorca, Machado, Hernández, Alberti ; puis les poètes des Etats-Unis, en particulier : Whitman, Thoreau, Ginsberg, Ferlinghetti, et bien d’autres encore.

Victor Hugo, Apollinaire, Paul Valery, Eluard, Aragon, Cendrars, Jean Joubert.

Vous me demandez pour quoi ces poètes sont importants pour moi. Simplement parce qu’ils m’ont aidé à vivre, à avancer dans cette vie remplie d’embûches et de difficultés de toutes sortes.

Je donne deux exemples concernant deux rencontres importantes pour moi :

1- A Paris, j’ai lu La Arboleda Perdida de Rafael Alberti. Ce livre en prose m’a donné un grand espoir dans la vie. Dix ans plus tard, à Madrid, j’ai eu la chance de dire personnellement à cet écrivain : « Merci ! ».  

2- J’ai rencontré par hasard Jean Joubert à la MJC de Castelnau. Je faisais des photocopies pour mes élèves d’espagnol quand il s’est approché de moi pour me demander : « Aimez-vous la poésie ? »

Comme j’étais très occupé avec mes élèves, il m’a donné ses coordonnées. J’ai l’ai contacté et nous sommes devenus amis proches.

C’était un homme fraternel, plein d’intelligence, ouvert au dialogue et à l’échange.

Son univers poétique est une merveille pour les lecteurs. Je recommande vivement de lire ses romans et ses poèmes. Jean Joubert est l’un des grands écrivains de France.

Sa poésie synthétise la beauté.


L :  Quand vous animez vos ateliers d’écriture, quels conseils donnez-vous pour l’écriture d’un poème, si conseils il doit y avoir ?

P.S : Au cours de l’atelier d’écriture, nous travaillons généralement à partir d’un ou deux thèmes. Les participants sont libres de suivre ou non ce que je propose. En général, je n’ai pas l’habitude de donner des conseils aux participants, mais je peux suggérer des chemins d’écriture, les inviter à réfléchir sur un mot ou une image, ou simplement les encourager à prolonger leur texte ou leur poème en raison de sa qualité et de son rythme.

Il est fréquent dans l’atelier d’écriture que les participants soient tentés d’écrire en rimes.
Pour cette raison, je leur demande de se débarrasser de cette camisole de force qui les empêche de se sentir vraiment libres lorsqu’ils écrivent. Ce n’est pas facile, mais ils y parviennent ...

L :  Ecrivez-vous dans votre langue maternelle ou est-ce que le français a aussi une place dans votre imaginaire poétique et dans votre processus créatif?

P.S : Pendant de longues années, j’ai écrit des sonnets en espagnol, souvent influencés par Pablo Neruda, Gabriela Mistral, Antonio Machado et Miguel Hernández.

En 2007, j’ai cessé d’écrire en espagnol pour me consacrer à l’écriture en français. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Jean Joubert, comme je l’ai mentionné précédemment. Il m’a encouragé à publier mes poèmes en français et a préfacé Le Parapluie rouge (Domens, 2011), puis Journal d’une Seconde (L’Harmattan, 2015).

Ecrire dans une autre langue représente un véritable défi. Personnellement, je ne me considère pas comme un poète bilingue. Je suis un modeste poète franco-chilien, ou franco-latino-américain de Montpellier, qui tente d’écrire en français, une langue que je ne maîtrise pas à cent pour cent. Le dictionnaire est mon principal allié.

C’est aussi une manière pour moi de m’intégrer à mon pays d’adoption.

:  Quel lien entretenez-vous avec la poésie ?

P.S : J’entretiens des liens amicaux avec la poésie. Cependant, elle peut parfois me lasser lorsque les « concierges ou bureaucrates » de la poésie se révèlent être des imposteurs, des individus nuisibles qui ne cherchent qu’à figurer sur la photo de famille.

Heureusement, sur le chemin de la poésie, je croise aussi des personnes intègres pour qui la seule boussole est la quête de la beauté et de la fraternité.  

Chercher la beauté, s’en approcher, c’est, je crois, le vrai chemin à suivre.

L :  Quelle définition donneriez-vous à la poésie ? Vous pouvez y répondre par un poème si vous le désirez.

P.S : « ... Je réponds
En tous lieux nous entendions des pleurs,
en tous lieux nous assiégeait un mur de vagues noires.
Et la Poésie aurait dû être
une solitaire colonne de bruine ?
Il fallait qu’elle soit un éclair perpétuel.
Tant que quelqu’un souffre,
la rose ne pourra être belle ;
tant que quelqu’un regarde le pain avec envie,
le blé ne pourra dormir ;
tant qu’il pleuvra sur la poitrine des pauvres,
mon cœur ne sourira point.

Tuez la tristesse, poètes.
Tuons la tristesse à coups de bâton... »

Extrait de : Lettre aux poètes qui viendront, de Manuel Scorza.
 
 

Poèmes de Patricio Sanchez

 
Caracola
 

Tu avais écris qu’un jour nous irions marcher au bord du sable
pour oublier l’existence des rues.

Les maisons seraient pour toi de grands nuages bleus,
perdus au fond des souvenirs.

Tu avais les yeux ouverts au moment où la foudre
détruisait sauvagement les toits luisants
des maisons en brique.

Tu avais écris que les arbres sentiraient la terre humide
et que les sentiers descendraient un jour jusqu’à
la paume
de ta main.

Tu avais écris que rien,
ni les visages,
ne pourraient ressembler au bourdonnement d’une tenaille.

Tu avais écris beaucoup de choses, un jour,
mais de ce jour-là nous n’avons plus de souvenirs.
 


Journal d’une seconde

 1.

Je viens d’un pays
Qu’on ne saurait
Décrire sans
Le regard d’un pélican.

2.

Un pays
Où la nuit est
Eternelle, ainsi que les lacs
Et ses montagnes.

3.

Un pays fait de lumière
Et de pain frais,
D’arbres
Au visage
De colibri.

4.

Je viens d’un pays où
Tout est arôme,
Bruissement des yeux
Et volcans
En furie.

5.

Un pays que mes mains
Transportent
Comme je transporte
La vie
Sur les carrefours de
L’exil.

6.

Un pays de fleurs
Et d’arbres
en feu.

Un pays
où les vagues
de l’océan
aimantent
Le soleil
à l’aurore.

7.

Un pays
en forme de poignard
telle une braise
brillante dans
la poche.

8.

Je viens d’un pays
qui habite dans une montagne
de cuivre et d’or
frémissant.

9.

Je viens d’un pays
lointain
que seule ma voix
et mes tempes
pourront reconnaître.
 
 
Photo Elsa Sanchez

 
Pour découvrir davantage Patricio Sanchez

Bibliographie

 • Sea la luz, Nueva Poesía de Chile, Editorial Marana-Tha, Talca, Chili, 1990.
    • Poèmes écrits dans un Café, Imprimerie Université Paul-Valéry de Montpellier, France, 1991.
    • Montpellier, trois minutes d’arrêt, Los Andes, Montpellier, France, 1996.
    • Breve Antología Personal y otros poemas, Los Andes, Montpellier, France, 2000.
    • El Calendario de la Eternidad, Sociedad Internacional de Escritores (S.I.E), Virginie, Etats-Unis, 2007.
    • Nuages, Obsidiana Press, Virginie, États-Unis, 2008.
    • Le Parapluie rouge, avec préface de Jean Joubert, Domens, Pézenas, France, 2011.
    • Terre de feu, suivi de Nuages, Domens, Pézenas, France, 2013.
    • Journal d’une seconde, avec une préface de Jean Joubert, L'Harmattan, Paris, France, 2015.
    • Les Disparus, La rumeur libre, Sainte-Colombe-sur-Gand, France, 2017.
    • Cahiers de la Méditerranée/ Cuadernos del Mediterráneo, Domens, Pézenas, France, 2019-2021.
    • Et pourquoi le chemin.../ Y por qué el camino..., La rumeur libre, Sainte-Colombe-sur-Gand, France, 2021.
Livres d'artistes :
    • Plume, R. Segura, 2013.
    • Volcán Chaitén, E. Shulman, 2014.
    • Copihue, Collection Livre pauvre, D. Leuwers, 2015.
    • La Mer est ma boussole, P. Bendine-Boucar, Collection Rivières, 2017.
    • Grenades, M. Desmée, 2018.
    • Le Chemin avant le jour, Bellagamba, Papiers Coupés, 2018.
    • La Maison, R. Georges, Papiers Coupés, 2018.
    • Le Livre, M. Granier, Papiers Coupés, 2018.
    • Pierre de Soleil, H. Musa, Papiers Coupés, 2023.
Traductions :
- Ville Assiégée, de Sergio Badilla, Al Manar, Neuilly, France, 2010.
- Aux temps sans noms, d'Alicia Martínez, Lastura, Madrid, Espagne, 2014, 2015.
- Anthologie de la poésie chilienne : 26 poètes d’aujourd’hui, revue Bacchanales n° 65, Maison de la Poésie Rhône-Alpes, France, 2021.

- A traduit également des poèmes de Fréderic-Jacques Temple, Pierre Oster, Jean Joubert et Juan Carlos Mestre, entre autres.


 

 


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire