Note de lecture


« Amitié à Joëlle Pétillot » 
à propos du Bal des choses immobiles *

Chère Joëlle,
De retour après quelques jours passés plus au Sud, une lettre de France m’attendait. J’ai aussitôt reconnu votre écriture mais me suis refusé à ouvrir avant que les images et impressions rapportées de là-bas n’aient fait leur place à celles dont je pressentais l’afflux en devinant, au cartonné palpé à travers l’enveloppe, qu’il s’agissait d’un ouvrage. 
            J’ai pourtant presque aussitôt cédé... et me suis perdu. Mes découvertes de recueils de poésie sont d’habitude navigatrices. Je me guide à l’estime, aux courants, aux étoiles, en boustrophedon, éclaboussé de ressentis divers. Là, chère Joëlle, vous étiez au gouvernail de bout en bout, assurant la manœuvre pour la Capitainerie de vos poèmes. Et, perdu, je ne l’étais pas en vérité : j’étais dans l’abandon de réceptivité. 
Car votre parole est à l’épreuve de toute emprise de lecture. Elle ne se livre pas mais s’infuse, gagne de proche en proche en amont du regard. On croit la situer mieux, la voilà qui s’infléchit, s’esquive pour un autre étonnant partage, s’engaînant, s’enrobant, se voilant... Tour à tour lisse, frémissante, naturelle, inventive, toujours singulière, toujours musicale dans ses choix et agencements, dont les métriques, elle va combler ici l’attente suscitée par son charme ; un peu plus loin ou parfois juste après, une inquiétude contagieuse en surgit, que va dissiper un coup de douceur longue fichée comme une  écharde intime... Rien n’est jamais sûr par excès de voyance dans cette pérégrination étrangement allante et fixe (traduire ainsi le titre ne vaut pas mieux que lui !) à gué d’éclats absolus, par des rampes de vertige et de paradoxaux renversements,  par laps d’énigmes spontanées, de mystères non travestis ni calculés. Vous n’assénez ni n’affirmez ; quant à témoigner... Vous n’avez pas à le faire, vos poèmes s’en chargent, et encore suffit-il qu’ils soient là, tout en présence convaincante.  
— ... Oh, la dernière page, déjà. Déjà  la fin... 
—  Mais non, de fin il n’y a pas, ce livre est à claires-voies et en spirale... et tu le reliras.
Je suis revenu à moi au milieu des bagages, que je n’avais pas défaits. Vos vers n’étaient pas captifs du livre reposé. Ils diffusaient en basse continue dans ma tête, en compagnie de ce souvenir de Saint-Pol-Roux que les nazis n’auront jamais pu bâillonner :
Le chant est l’éloquence de ceux qui n’ont rien à dire et tout à faire entendre.
Pour tout cela,  Joëlle Pétillot, chère Dame de Poésie – pour tout cela, de cœur merci. 
Longue et belle vie  au Bal des choses immobileset à celle qui  y danse.
Vôtre,
Clément G. Second, juin 2019

Joëlle Pétillot : Le Bal des choses immobiles (éditions Alcyone, 2019).

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