Le bocal des conserves


(« Protection des espèces en voie de disparition »)

Deux mots pour le même agréable moment

Je fus affecté comme enseignant dans l’unique collège d’une bourgade du Pays de Caux éventrée par la route nationale et ses modernités inévitables mais s’agrippant fort à son identité d’origine. Le collège, flambant neuf, structure en verre et métal, chromatisme pétant, accueillait un public issu de la localité et des hameaux environnants. Dans la façon d’être des élèves et dans celle de l’équipe éducative, composée surtout de gens du coin, l’empreinte rurale me donnait l’impression agréable de remonter le temps d’une vingtaine d’années.
La Principale me reçut sans manières ; sans manières non plus l’Adjoint chez qui, pressée, elle me fit passer. La quarantaine, la poignée de main rude, des yeux d’un bleu de lin comme bridés par l’attention, il m’observa d’abord, me fit asseoir près de son bureau. La conversation se fit cordiale ; nous parlions comme à une table de café. Il se leva plusieurs fois pour commenter des données accrochées au mur. L’accent posé, large, me plaisait, comme le tour (d’ailleurs très correct) des phrases et certains mots dont il les ponctuait (il me confia plus tard être fils d’agriculteurs). Je finis par me rendre compte qu’il était en chaussons de maison. Il sourit finement sans relever mon étonnement muet et poursuivit ses explications. (Je rapporte ce détail car ce n’en est pas un.) Un peu après, à l’approche de midi, l’entretien s’acheva ; je me levai et remerciai. « De rien, vous reviendrez », répondit-il avec gentillesse. Il m’accompagna. Comme j’allais sortir sous le ciel lourd, orageux, de ceux qu’impose parfois vers la fin de l’été le ciel normand, il remarqua : « Un jour à faire mézienne, ’pas ? ». Je me retournai et lui demandai de répéter, ce qu’il fit, puis, comme je lui avouais d’une mimique ma perplexité, il précisa que c’était une façon cauchoise de désigner la sieste. Par la suite, au fil de nos échanges, il m’apprit d’autres éléments du parler et des coutumes de là-bas.
J’ai recherché l’usage et l’origine du terme. Régionalisme non limité à la Normandie, il est ancien et en voie d’extinction. On ne doit plus guère le trouver que dans les parlers reculés, dans des pages de romans et chroniques des terroirs... Dommage : il chante bien, acidulé, comme ces insectes zinzinants des mois de chaleur. L’étymologie explique sa synonymie avec sieste, laquelle vient de la sixième heure latine de la journée (sexta), c’est-à-dire midi. Faire mésienne (on peut écrire mézienne, on disait aussi faire la mésienne), c’est s’accorder une pose somnolente après déjeuner vers le même moment, au milieu du jour, à l’heure méridienne, comme y invitait le temps lourd de ce début septembre. En souvenir d’une bourgade attachante du méconnu Pays de Caux, et d’un homme affable et subtil qui m’accueillit en pantoufles, il m’arrive de songer que je vais faire mésienne lorsque l’oreiller m’attire après déjeuner.

(CGS)

3 commentaires:

  1. Joli Clément et si bien remis en scène.

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  2. Une très belle découverte !
    Je vous remercie

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  3. Merci pour ce joli texte... Dorénavant je saurai que je "fais mézienne" très souvent !

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