Éric Cuissard


L'école, l'église.

Le chemin de l'école c'est aussi le retour avec la feuille attachée dans le dos : COCHON. On marche à pas serrés, sans fioritures, au plus vite. Pourquoi n'enlève-t-on pas le gilet ? Il fait si chaud. Les chemins d'humiliations sont faits de moiteur et d'étouffements. Le gros chien qui aboie si fort à la grille quand on passe en faisant ksii ksiii ne comprend pas. Il agite ses pattes, remue la tête. Il dit : ben qu'est-ce qu'il a le petit garçon. Comme la mère Tousard qui réchauffe ses 82 ans au four des tuffeaux frappés de soleil. Finalement ça embête tous le monde les chemins d'humiliations et puis ça fabrique des chemins de vengeance avec un grand V bien creusé dans le bois du pupitre.

C'est les chutes aussi, étourdis sans doute à force de marcher en rond. L'impression que les enfants d'aujourd'hui tombent moins. Ceux des villes moins que ceux des campagnes. Ceux des villes sont heurtés par une moto, écrasés par une voiture, déchiquetés par un camion mais ils ne tombent pas. Si vous ne savez pas ce que c'est tomber les genoux sanglants, me semble que Colette parle bien de ça dans Claudine à l'école. Et c'est marrant parce que à Saint-Cyr c'est Colette qui soigne ! Colette c'est comme une grande sœur oh ! elle adore les enfants ! Les chemins c'est comme ça aussi, ça peut relier deux Colette qu'ont rien à voir en faisant tomber les petits enfants.

Il y a le chemin du cimetière. La grande balade avec la grand-mère c'est d'aller au cimetière et puis revenir. Y'a un poème sur le cimetière. Un peu triché et pourtant c'est ça. Tellement qu'en parler autrement là c'est impossible. Juste les processions peut-être. Le jour des Rameaux. À la Toussaint. À la Fête-Dieu. Oh ! les Fêtes-Dieu ! C'était beau dans le temps. Les petits enfants avaient des couronnes de fleurs dans les cheveux. On marchait de l'église au cimetière. Le curé disait : Sainte Marie mère de Dieu priez pour nous pauvres pêcheurs et on reprenait : maintenant et jusqu'à l'heure de notre mort ainsi soit-il. Et Jésus le fruit de vos entrailles est béni. C'était beau comme une manif. Une seule solution la révolution. Sauf que les gens y croyaient vraiment, on aurait dit. En tout cas ils le faisaient bien, ça réchauffait bêtement.

Kyrie eleison ! Christ eleison ! J'aimais bien aller à l'église... Je Crois... Et j'avancerai jusqu'à l'autel de Dieu ma joie et ma jeunesse.








Éric Cuissard habite à Reims. Il publie poèmes et récits courts en revue, depuis une quarantaine d'années : Sol'Air (Nantes), Rétroviseur (Lille), Friches (Haute-Vienne), Inédit Nouveau (Belgique) et Phooo (Calcutta). Trois recueils publiés : Sténopé (Sol'Air), Angles des Cris Purs (Books on Demand) et Le Résident des Interstices (Sajat). Présent depuis le n° 4 de Lichen, à l'exception du n° 19. Ce texte est extrait du roman inédit Des chemins aussi.

10 commentaires:

  1. Rétrospection tellement mieux que passéiste. D'ailleurs vous y êtes au présent, même dans les passages à l'imparfait. Les souvenir glisse au gré d'une prose souple et dense, tendre et lucide... La vie !

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    1. Merci, Clément, de si bien m'entendre.

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  2. je les tuerai tous ,jusqu'au dernier y compris les âmes du purgatoire !

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  3. Quel beau texte ********
    La dernière fois que j'ai cru, c'était comme une manif aussi. Mais c'est une autre histoire.

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    1. Merci "little big" Colette! Encore un petit extrait prochainement et puis j’arrête. "La nostalgie c'est comme l'opium ça intoxique..."

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  4. Un beau texte, dont la langue me fait penser à celle des néo-lyriques, et subtile manière de comprendre le présent.

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    1. Merci pour votre regard Anne Onyme. Je me sens bien chez les neo-lyriques, je suis de leur génération. Je pioche cependant un peu partout. Ponge m'enchante comme Jean Michel Maulpoix. Je dois ajouter que, très jeune, j'ai été abusé par San Antonio.Je ne porte pas plainte.

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  5. jacqueline l'heveder3 décembre 2017 à 16:24

    C'est exactement ce que j'ai vécu, ressenti étant enfant, et comme j'aurais aimé le dire, j'en ai fait des écrits , plus graves je crois.

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    1. On veut bien vos écrits, graves, sur le sujet, dans Lichen.
      A bientôt Jacqueline.

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