Cathy Garcia


Selva

Ombres pâles sous la lune, le petit groupe avance, en silence. En tête, l’Ancien, celui qui sait. La nuit aux yeux d’onça les observe, les couve de désir phosphorescent, de douceur oppressante. Ténèbres végétales gorgées de sucs et de venins. Les transes stridentes des insectes s’élèvent, s’apaisent. Pulsations, ondulations, symphonies d’un autre monde. Océan de cuirasses, carapaces, antennes, crocs, mandibules, pattes, mâchoires. Copulation. Mutilation. Vie et mort s’entredévorent.

Les hommes marchent. Des traits rouge vif marquent leurs pommettes saillantes. Colliers, perles d’os, flûte gravée, calebasses remplie de feuilles, graines, poudres, pierres secrètes. Les hommes marchent vers le monde des morts. Bientôt leur terre ne sera plus. Atteinte depuis trop longtemps d’une étrange maladie, elle rétrécit et personne ne sait comment la guérir, pas même celui qui sait, l’Ancien.

Une étrange maladie et bien d’autres fléaux aux mains d’un envahisseur blanc, cruel, avide, au pouvoir venimeux. L’Ancien ne peut que s’incliner ; les Esprits semblent avoir rétréci avec son monde. Il ne les entend plus. Fouillés, prospectés, clôturés, abattus, démembrés, brûlés, souillés, massacrés, les Esprits ne parlent plus.

L’Ancien pourtant continue à marcher. Solide. D’autres le suivent. Ombres de plus en plus pâles sous la lune rouge. Et des ténèbres vers la voûte lactée, monte la plainte de la Mère qui pleure.









Cathy Garcia, poète & artiste, s’est installée en 2001 dans le Lot, où elle anime la revue Nouveaux Délits, depuis juillet 2003. Liens : http://cathygarcia.hautetfort.com/http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/ ; http://delitdepoesie.hautetfort.com/. Présente dans les n° 2, 3, 4, 6, 7, 8, 10, 14, 15, 16, 19 et 21 de Lichen. Ce texte est extrait de Sursis, recueil publié à compte d'auteur (octobre 2017).

2 commentaires:

  1. Venant juste de finir sa lecture, il semble que ce poème donne l'impression que la fin annoncée de l'humanité tandis que "monte la plainte de la Mère qui pleure" (notre planète la Terre je pense), est ici représentée au-travers de celle d'une peuplade d'Amérique du Sud contemporaine en voie d'extinction, et ce, par la perte de sa sagesse passée...

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  2. Les « Yeux d'onça » guident, mais on se cherche … pour le moment nos pas occident notre marche.
    « Vie et mort s'entredévorent » ... ou respirent chacun à leur tour … Sommes-nous à la fin d'un souffle ou seulement d'une inspiration ?

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